Le talent n’a pas de père, ni de mère. Il ne choisit pas une époque pour naître, ni un jour ni une classe d’Homme particulière. Il est sans limite et c’est à qui sait mieux se valoriser que ça bénéficie le plus. La richesse dans l’art de constituer une valeur sûre réside en chacun de nous et l’aura des gens pétris de talents est si puissante que nous sommes poussés à promener nos yeux partout où il se doit pour dénicher la pépite d’or qui caractérise lesdites gens. Tant leur présence est imposante que même logé dans le mystère de la foi nous nous revêtons du manteau divin pour puiser l’inspiration de leurs bonnes grâces. C’est bien votre cas, Abbé Paulin Gacli.
TDB : Bonjour et bienvenue à vous M. Gacli. Pour nous et surtout pour nos lecteurs présentez-vous jusqu’au moindre détail que vous jugerez utile.
Abbé Gacli : Je vous dois tout de suite mon remerciement pour cette interview. Et déjà je puis vous dire que dans le domaine de la foi, nous ne parlons pas d’aura, mais de destin au crochet du dessein de Dieu. En effet, je suis prêtre catholique de rite latin et je suis actuellement étudiant en Lettres classiques et chrétiennes en année de spécialisation. Vous pourriez découvrir les détails par l’un ou l’autre biais par rapport à ma vie d’enfance, ou les divers ministères exercés dans et en dehors de mon diocèse.
TDB : D’abord, prêtre de l’Eglise Catholique et donc berger du peuple de Dieu dans la foi. Parlez-nous un peu de cet appel divin reçu et que vous vivez toujours aujourd’hui à travers plusieurs dimensions.
Abbé Gacli : Être prêtre effectivement, est une réponse à l’appel de Dieu que la colorature terminologique latine appelle vocation. Et j’ai senti cet appel dès mon enfance quand je jouais au petit prêtre avec mes sœurs qui formaient l’assemblée et en même temps la chorale de circonstance, avec le jus d’orange et les biscuits ‘Cabin’ d’alors. Ensuite Dieu aura changé cet amusement d’enfance non enfantin en véritable service d’oblation à sa personne comme prêtre ordonné le 11 septembre 2010.
TDB : Mordu des poèmes classiques, comment vous-êtes échappé des tendances modernistes ?
Abbé Gacli : Mes poèmes gardent toujours la métrique quantitative qui est une teinte déjà de la poésie médiévale, et ce qui fait la poésie moderne. Mais je suis de formation classique et c’est toute une particularité et une saveur unique qui ne peut sourdre que de l’ingéniosité et de l’originalité des écrivains classiques.
TDB : Votre histoire avec la poésie, c’en est une tel le fameux « je t’aime, moi non plus ». Pourquoi la poésie et pas autres genres ?
Abbé Gacli : J’avais découvert tôt en la poésie une œuvre de grands esprits et une potion dont s’enivre ceux qui voudraient leur ressembler. La poésie vous aiguillonne sur un monde immense et vous indique un horizon infini d’interprétation. Car l’art a toujours quelque chose de profond, d’étonnant, de poignant, de lumineux, d’infini.
Ce genre m’a donc fasciné et je me suis laissé à son appât. Les autres genres ne manquent pas de charme. Je m’y emploierai pour les prochaines publications.
TDB : A quel moment vous y êtes-vous mis et d’où est venu le déclic ?
Abbé Gacli : Déjà en classe de 4ème j’ai commencé à écrire mes premiers vers, à l’occasion d’un anniversaire ou d’une fête, surtout avec les acrostiches que beaucoup de condisciples me demandaient à l’époque. Au fait, nous étudiâmes la versification qui était au programme, et lecture devait être faite desdits classiques, en majorité auteurs français comme Pierre Corneille, Victor Hugo, Lamartine, La Bruyère. En réalité ce n’étaient que des traducteurs des vrais classiques grecs et latins.
TDB : Qu’est-ce qui vous fascine tant dans le classicisme et quelle est votre conception de cette particulière tendance ?
Abbé Gacli : Le classicisme m’a toujours présenté un monde proche des réalités endogènes nôtres. Les auteurs classiques sont rarement côtoyeurs de l’abstrait et de l’irréel. Mais leur force de plume est de vous présenter ce réel en idéal pittoresque. Mais au-delà de la forme, c’est avant tout leur humanisme qui nous appelle à connaître l’homme et à le transformer de l’intérieur. Et pour y accéder, il faut se prêter à la rudesse de la langue grecque et aux subtilités du latin.
TDB : Quels sont les poètes que vous préférerez malgré tout à tous les autres ?
Abbé Gacli : C’est vraiment embarrassant, mais si je dis Juvénal ou Virgile je ne serais pas loin de la vraie réponse.
TDB : A vos débuts, étiez-vous lu comme vous le souhaitez ?
Abbé Gacli : Je sais que beaucoup de condisciples aimaient écouter mes discours au Séminaire, et étaient tout ouïe à mes prises de paroles, au point où ils s’imaginaient à peu près l’incidence de mes mots. Je m’en suis aperçu avec mes homélies aussi. Je ne voulais rien écrire car je suis un peu trop critique de moi-même et des autres, et je voyais toujours une imperfection ici et là. Mais il fallait me décider avec la pression de certaines personnes dont je tais le nom.
TDB : Quels étaient les supports sur lesquels vous étaliez tout votre art ?
Abbé Gacli : Comment ? J’aimais écrire mes textes au crayon sur un simple papier. Tous mes textes sont passés par ce support de fortune, car comme le dit Anatole de France : « Caressez longuement votre phrase, et elle finira par vous sourire. » Cela semble métaphorique, mais en réalité les mots, les phrases ont un sourire qui vous émeut quand vous avez fini de les contempler.
TDB : Comptez-vous déjà des livres à votre actif ou tout juste avez-vous des manuscrits en projets d’édition ?
Abbé Gacli : Mon tout premier livre est Sur La Lune, paru en avril 2019. Il est disponible en ligne sur Amazone et autres distributeurs de l’Europe et des Etats-Unis, et aussi au Bénin. J’ai encore bien des manuscrits qui seront publiés un jour, s’il plaît à Dieu.
TDB : Comment pensez-vous mettre la poésie au service de votre sacerdoce ?
Abbé Gacli : Je l’utilisais déjà dans mes homélies pour illustrer un thème ou une thématique. Mais le sacerdoce ne s’arrête pas aux homélies. C’est tout le ministère dans son munus docendi et les autres aspects rhétoriques qui vous renvoient à la poésie.
Je voudrais bien rappeler ici que parler de poésie, c’est parler de la créativité dans sa finesse et dans son art.
TDB : De vos temps libres, vous vous exercez à mettre le mystère du salut en poèmes. Comment est-ce que ça se passe ?
Abbé Gacli : En année propédeutique, après les oraisons, je m’amusais à réécrie ce que j’ai contemplé comme mystère durant une heure entière dans le silence sépulcral, au sens latin, en me délaissant des vieilles conceptions et en puisant le pulchrum qui peut ressortir de ce sépulcre ; même si c’est par fausse étymologie, c’est de l’oxymore réelle. Ce mystère du salut en poèmes se trouve dans la première partie de l’ouvrage, mais la seconde est de la poésie spontanée et pure.
TDB : Le poète n’est pas censé être gendarmé dans la rédaction de ses vers. Il peut parler sans tabou et rendre hommage à qui l’enchante et cela dans le langage qui lui sied. Comment gérez-vous le regard de votre communauté de foi sur les œuvres dont vous êtes auteur ? Et vous arrive-t-il bien des fois de prendre la liberté dans vos écrits pour ne pas écrire que religion ?
Abbé Gacli : Fuyons l’habitude de séparer la religion de la poésie. C’est d’ailleurs la religion qui est maîtresse de poésie. Ainsi, ma liberté se met-elle au crédit de la religion. C’est vrai que parfois vous rencontrez un certain Catulle qui vous offre des plats hétérodoxes, et en tant qu’adulte, le poète butine son nectar et s’en va. Vous remarquez donc qu’en fin de poème souvent, je conclus avec une note religieuse qui oriente le lecteur vers Dieu.
TDB : Votre position de prêtre et les études afférentes vous permettent de faire le tour de plus d’un pays du monde, vous êtes même en Italie actuellement faut-il le rappeler ! Quel rôle jouent ces voyages dans l’orientation que vous donnez à vos écrits ? En quoi vos nouvelles rencontres contribuent à l’édification de votre plume ?
Abbé Gacli : Ces voyages ont été les plateaux d’inspiration et de tournage alors du film de ces poèmes. A lire Sur La Lune, vous vous en rendrez compte : Allemagne, France, Italie, Autriche, Togo, Bénin, etc.
TDB : En tant que religieux pensez-vous pouvoir mettre votre belle plume au service des causes citoyennes ?
Abbé Gacli: C’est là d’ailleurs mon objectif. J’ai déjà publié des articles dans des journaux de mon pays en vue d’une ‘Humanitas’ plus convenable. Et je le ferai encore. Car la doctrine sociale de l’Eglise passe aussi par là.
TDB : Quel regard avez-vous aujourd’hui sur le rapport de la jeunesse avec la lecture en particulier et la littérature en général ?
Abbé Gacli : L’on ne dirait pas que les jeunes d’aujourd’hui ne lisent pas. Mais ils ne savent pas lire, ou ils lisent ce qu’il ne faut pas. Ils peuvent certes au travers des moyens électroniques se connecter et accéder aux ouvrages classiques, mais il y a plus de saveur à toucher le livre qui a son impact didactique propre irremplaçable. Je les invite donc à porter leur regard sur les livres sans feinte aucune de canard. Vous connaissez bien l’adage. Il suffit qu’ils se trouvent des livres de chevet, et lisent une page au jour le jour. Leur vie deviendra poème.
Voici par exemple un extrait de mon livre sur la lecture :
Lire
Lire, Steven, est un jeu du primaire
Quand notre maîtresse avec son bâton
Touche au tableau l’étrange abécédaire.
Et que très joyeux les mains nous battons.
Lire est aussi une curiosité
Quand sur nos tables d’adolescents,
Abondent toutes sortes de romans
Qui nous ouvrent à la subjectivité.
Lire est encor devoir d’étudiant
Quand gros livres sur gros livres s’empilent
Et deviennent affreux stupéfiant
Qui vous imprime enfin un bon profil.
Lire est un vrai plaisir de retraité
Quand tous les journaux il faut feuilleter
Et qu’alors dans son fauteuil bien vautré,
Il écrème les colonnes feutrées.
Mais toi, mon cher neveu, apprends à lire
Le regard de tes parents sans pâlir,
Et ce beau livre inédit de la vie
Qui te tiendra beaucoup compagnie.
On peut lire la vie avec plaisir,
Quand la curiosité se fait devoir
Et que donc, vivre c’est apprendre à lire :
Enfant, mets-toi à ton livre ce soir.
Ses pages paraissent toujours très mates
Et ses fumantes encres varient assez.
Mais ses lignes sont infinies et droites :
Le livre est chantier et sentier.
TDB : Etes-vous optimiste sur l’avenir du livre béninois ?
Abbé Gacli : Sur l’avenir du livre béninois je ne saurais me prononcer car la Littérature béninoise moderne n’est pas ma spécialité, et beaucoup malheureusement sont issus des Lettres modernes. Il existe un nombre croissant de publications et cela est positif. Mais parler d’optimisme, c’est parler d’un meilleur au superlatif absolu ‘optimum’. Sénèque disait « pergentes non quo eundum est, sed quo itur » : poursuivant non dans le sens où ils doivent aller, mais où ils vont. Or la monotonie thématique est hostile à l’essence de la poésie. Un pays qui n’a plus la faculté des Lettres classiques est un pays qui s’est emputé, et demeurera donc infirme. Moi malheureusement, j’étudie les Lettres classiques en Europe avec ses risques d’hellénisation ou de romanisation mentale, mais l’étudier dans mon propre pays aura toujours une particularité avec par exemple l’égyptologie, et tout le patrimoine littéraire oral de l’Afrique en général, et du Danxomè en particulier. Un étranger qui vous racontera votre passé vous le racontera ou à votre détriment, ou sans condiment. Les pays plus émergents que le Bénin ont conservé leur faculté des Lettres classiques. Même les Etats- Unis, très anglicisés, sont aujourd’hui une référence en matière de philologie classique. Tout développement commencera toujours par l’esprit et non la matière. Entre plaidoyer ou réquisitoire, entre démagogie ou apologie, je me voue au discours vrai d’un patriotisme éveilleur de conscience puisque conscient de ses racines.
TDB : L’homme et l’humanité semblent être vos champs favoris d’inspiration. Doit-on cette tendance à l’amour de la philosophie socratique ? Ou vous affectionnez particulièrement d’autres philosophes grecs ?
Abbé Gacli : Vous faites bien de distinguer l’homme de son humanité. Car aujourd’hui beaucoup d’hommes ont perdu leur humanité ou ne l’ont jamais connue. C’est bien ce qui arrive au monde occidental qui limitent les naissances humaines pour adopter et engendrer des chiens. Et je ferme là les parenthèses qui sont désormais ouvertes.
La philosophie grecque n’est qu’un pan du monde grec, et je puis dire que la vraie philosophie comme discipline enseignée – et non philosophie comme sagesse d’un peuple- se trouve dans la littérature. Que peut dire un professeur de philosophie s’il n’exploite le texte grec lui-même ? Je vois la peine des étudiants en philosophie à fréquenter la faculté des Lettres classiques, qui sont indispensables pour leur curriculum. Et pour un prêtre, le grec était la langue de la foi : tous les textes scripturaires, homilétiques, hagiographiques, cronographiques, etc.
TDB : Quel impact souhaitez-vous avoir avec votre plume ?
Abbé Gacli : L’impact est de faire revenir l’homme à son humanité et aux valeurs qui le définissent comme tel. Et la plume est aussi un sceau qui peut marquer et par son encre, et par sa pointe au sens propre et figuré du terme, c’est -à- dire par sa qualité.
TDB : Votre devise
Abbé Gacli : Je n’en ai point. Mais je me rappelle qu’on nous disait au petit séminaire pour aller au tableau d’honneur : « excelsior semper excelsior. »
TDB : Votre pays de rêve
Abbé Gacli : Mon pays de rêve est bien le vers. Mais si vous êtes sérieuse, cela demeure mon pays. Il n’y a rien de plus beau que de vivre chez soi. Le reste est chimérique ou odysséen. Vous courez à la rencontre de gens qui vous fuient.
TDB : Miam-Miam Bénin, le blog de cuisine de la Diaspora béninoise vous propose un plat de Bomiwô au poulet rôti ultra pimenté et un autre plat constitué de lio et Monyo. Quel choix feriez-vous ?
Abbé Gacli : Rire. Mon choix dépendra de la main qui les a préparés. Et je choisirai alors tous les deux en évitant bien le piment qui fait les deux.
TDB : De votre expérience avec les maisons d’édition, quels conseils donnerez-vous à ceux qui, vous emboîtant le pas, aspirent devenir écrivains mais qui sont limités dans leurs moyens ?
Abbé Gacli : Je leur dirai simplement de faire d’abord la distinction entre publier un ouvrage et en faire éditer. Je me suis fait évaluer par de grandes maisons d’édition qui ont délibéré la publication de mon ouvrage. Donc c’est assez important le travail d’édition qui doit précéder toute publication même si on peut faire passer les deux termes comme synonymiques. Il est très important de se faire lire et corriger avant de se proposer au public. Malheureusement avec l’internet aujourd’hui, même ceux qui ne pouvaient lever le petit doigt sous l’arbre à palabre font aussi opinion, dira quelqu’un.
Ensuite le gain réel non est le lucre matériel qui en ressort, mais l’impact sur le lectorat.
TDB : Un mot à l’endroit de nos lecteurs suivi de votre mot de fin.
Abbé Gacli : Il faut lire, en un mot : lire.
Talents du Bénin vous remercie pour l’attention accordée à notre blog et le temps que vous mettrez pour donner à ce questionnaire des réponses qui puisent leur fondement du tréfonds de votre cœur.
DEDICACE
A Talent du Bénin, en style prosopopéique je dédie cet acrostiche alexandrin aux vers simples mais aussi embrassés, signe de mon accolade à vous :
Tournant dans la nuit de ce monde flétri,
A l’aurore de ces nouveaux jours prometteurs,
Luis comme la splendeur jaillissant du labeur,
Et donnant clarté, force et joie aux cœurs brisés.
Nonobstant les moult peines, loin des Elysées,
Tu es le Talent du Bénin, notre patrie !
TDB: Merci pour cette belle dédicace à tous les talents du Bénin. Nous vous souhaitons un beau parcours dans vos nombreuses voies. Au plaisir de vous retrouver une prochaine fois!
Talents du Bénin (c) Juillet 2020